Nvidia, la perle de la Silicon Valley

Jusqu’en 2016, l’entreprise californienne était peu connue en dehors du cercle des adeptes de jeux vidéo. Mais elle fait désormais saliver les investisseurs de Wall Street, en raison notamment de sa position prometteuse sur le marché de l’intelligence artificielle.

La Nintendo Switch est équipée d’une puce Nvidia Tegra.

Le discours d’ouverture du Consumer Electronics Show de Las Vegas, la grand-messe de la hightech mondiale, est habituellement tenu par des stars comme Bill Gates ou par des géants du secteur, tels que Samsung ou Intel. En janvier dernier, cette tribune en vue était occupée par une personnalité que le grand public ne connaissait pas très bien : Jen-Hsun Huang, 54 ans, fondateur et CEO de Nvidia. « Ce qui relevait auparavant de la science- fiction deviendra réalité dans les années à venir », a-t-il affirmé d’un ton calme et assuré, vêtu comme à son habitude d’un perfecto, d’un polo et d’un jeans noirs. Il se référait par ces mots au boom récent de l’intelligence artificielle (IA), domaine dans lequel son entreprise est idéalement positionnée. Et c’est bien ce secteur qui suscite désormais l’intérêt des acteurs high-tech présents au Consumer Electronics Show, même si les téléviseurs et les tablettes y sont toujours présents.

Depuis sa création en 1993, la spécialité de Nvidia réside dans les puces graphiques (GPU) pour PC et consoles de jeux, et plus récemment pour smartphones. Qu’est-ce qui a amené cette entreprise californienne, basée à Santa Clara, à se lancer dans l’intelligence artificielle ? Jen-Hsun Huang savait depuis longtemps que le potentiel de ses GPU dépassait le champ des jeux vidéo. En 2006, Nvidia lance un kit de programmation appelé CUDA, qui permet aux codeurs de programmer chaque pixel sur un écran. Tout s’accélère en 2012, lorsque des chercheurs académiques se rendent compte de l’utilité de cet outil pour le développement de l’intelligence artificielle, en raison de sa capacité à gérer de multiples tâches simultanément. Les puces graphiques de Nvidia, qui jusque-là servaient surtout à sublimer des jeux comme Call of Duty, deviennent alors un outil précieux au service de l’IA, et plus précisément de ce que l’on nomme l’apprentissage profond.

Cet ensemble de techniques d’apprentissage automatique, appelé deep learning en anglais, fait progresser les ordinateurs par eux-mêmes, sans l’intervention fastidieuse de programmeurs. De quoi permettre des progrès fulgurants dans des domaines comme la reconnaissance faciale ou vocale.

La suite de l’histoire ressemble à une route pavée vers le succès pour l’entreprise californienne : des opérations qui prenaient auparavant plusieurs semaines ou mois peuvent désormais être effectuées en quelques heures ou minutes. Les ventes de l’entreprise explosent avec notamment des demandes de clients comme Google, Facebook, IBM ou Amazon. Ces géants ont besoin de la technologie Nvidia pour gérer leurs immenses data center, mais aussi pour leurs moteurs de recherche ou pour leurs assistants digitaux (comme « Alexa » de Amazon). L’une des raisons de la domination de Nvidia, c’est qu’elle ne se limite pas à proposer des GPU à ce type de clients. Elle leur fournit clé en main un kit de développement et une librairie d’algorithmes dédiés au deep learning. Les partenariats se multiplient ainsi dans de nombreux domaines : alors que le constructeur automobile Tesla équipe désormais toutes ses voitures autonomes de puces Nvidia, des universités et des hôpitaux les utilisent pour analyser des images médicales.

Tesla équipe désormais toutes ses voitures autonomes de puces Nvidia

WALL STREET MISE SUR L’IA

« A aucun moment de son histoire notre entreprise ne s’est retrouvée au centre d’un si grand marché », affirmait Jen-Hsun Huang dans Forbes fin 2016. Actuellement, plus de 2’000 start-up dans le monde entier sont actives dans l’intelligence artificielle (IA). Qu’il s’agisse des domaines du commerce online, des drones ou de la finance, elles utilisent toutes les puces de Nvidia. Pour certains analystes, l’IA représentera une immense révolution qui affectera toutes les industries. C’est pourquoi les investisseurs de Wall Street misent sur ce domaine et sur les entreprises qui y sont le mieux positionnées. C’est le cas de Nvidia, dont les résultats boursiers récents ont, en toute logique, étés spectaculaires.

Depuis le printemps 2016, l’entreprise de Santa Clara a battu tous les records. La valeur de ses actions a triplé ; il s’agit de loin de la meilleure performance 2016 de l’indice S&P 500 à Wall Street. Son chiffre d’affaires a progressé de 38% en 2016 pour s’établir à 6,9 milliards de dollars. Son revenu a connu une croissance de 55% au quatrième trimestre de 2016 par rapport à la même période en 2015. « La base du succès de Nvidia, c’est un mélange très sain entre des business d’avenir comme l’intelligence artificielle et un cœur de marché plus ancien mais également en croissance : les cartes et puces graphiques pour jeux vidéo, explique Mark Hung, analyste senior chez Gartner en Californie. Il ne faut pas oublier que ce dernier secteur représente encore plus de 60% du chiffre d’affaires de Nvidia. L’entreprise équipe notamment la nouvelle console Nintendo Switch, qui remporte un joli succès commercial. »

INTEL EN EMBUSCADE

Une si belle success story attise forcément les convoitises des concurrents, qui ne sont pas des moindres dans le secteur. Le principal, Intel, pèse bien plus lourd que Nvidia avec un chiffre d’affaires 2016 qui avoisine les 60 milliards de dollars. Si Intel domine encore de nombreux marchés, ses dirigeants ne souhaitent pas que le gâteau de l’intelligence artificielle revienne entièrement à Nvidia. L’entreprise, dont le siège est situé non loin de celui de Nvidia à Santa Clara, a racheté récemment plusieurs start-up actives dans l’intelligence artificielle, comme Nervana Systems, active dans le développement de software. En mars dernier, elle a annoncé le rachat du spécialiste israélien de la conduite autonome Mobileye pour 15 milliards de dollars. Quant à AMD, le principal concurrent de Nvidia dans le secteur des processeurs graphiques destinés aux jeux vidéo, il a réussi à équiper la dernière Xbox One, ainsi que la Playstation 4. « La concurrence est rude dans ce secteur, ce n’est pas nouveau, observe Mark Hung. Mais je pense que Nvidia a une longueur d’avance, en tout cas en ce qui concerne le marché de l’intelligence artificielle, et qu’elle restera bien positionnée pour l’année à venir. Par la suite, cela dépendra de l’efficacité des produits proposés par la concurrence.»

Jen-Hsun Huang, désormais milliardaire, ne peut donc pas se reposer sur ses lauriers. Mais cette perspective ne semble de toute façon pas correspondre au style de ce Taïwanais d’origine, arrivé aux États-Unis à l’âge de 10 ans. Combatif, il gère encore son entreprise avec l’esprit d’un startuper, vingt-quatre ans après sa création. Il affirmait ainsi récemment : « L’entreprise fonctionne encore comme si nous risquions la faillite dans les 30 jours. Ce n’est pas par peur de l’échec, mais par peur de la complaisance. »