Vive les divorcées!

Les divorces enthousiastes, racontés dans le livre «Happy Happy» de la Suédoise Maria Sveland, ont fait polémique. En Suisse romande, des femmes témoignent.

«Durant les semaines qui ont suivi mon divorce, j’étais bouleversée, mais j’ai surtout réalisé que j’étais enfin très heureuse.» Publié en Suède, au Danemark et en Norvège, le livre de la romancière féministe suédoise Maria Sveland a rapidement créé le buzz au-delà de la Scandinavie, sans même encore avoir été traduit. Happy Happy, coécrit avec l’écrivaine Katarina Wennstam, rassemble une dizaine de témoignages de femmes de différents métiers et statuts sociaux, qui racontent comment elles ont retrouvé le bonheur après leur séparation. «On se sent libérée d’un poids et surtout on dispose de davantage de temps pour ses amis et ses activités», poursuit Maria Sveland. Agée de 37 ans, cette mère de deux enfants a divorcé il y a deux ans. Nous n’en saurons pas plus sur sa vie privée: «Le but du livre n’est pas d’exposer nos mariages en détail, ni d’accabler nos ex-maris. Il cherche seulement à donner une image moins négative des femmes divorcées. C’est d’autant plus important à l’heure où plus d’un couple sur deux se sépare.»

Critiques virulentes. Le succès de Happy Happy a étonné son auteure autant que les critiques, extrêmement virulentes, qu’il a suscitées: «La violence et la quantité des réactions négatives nous ont surprises. Elles concernent surtout les enfants: on nous traite de mères indignes. Nous ne sommes pas de cet avis, car nous pensons que les enfants sont heureux de voir le bonheur de leur mère. Et nous n’aurions pas reçu ce genre de commentaires si nous avions été des hommes…» Ces critiques n’étonnent pas Françoise Piron, directrice de Pacte, une association lausannoise qui soutient les femmes qui font carrière: «Le regard stigmatisant et culpabilisant reste encore très fort sur les femmes divorcées dans notre société. Moi-même mère de trois enfants et représentant une famille monoparentale divorcée, j’ai eu droit durant des années à des remarques liées à mon statut dès que l’un de mes enfants avait le moindre souci.»

Mais les reproches proférés à l’encontre de Happy Happy ne concernent pas seulement les enfants. Ils parlent aussi du déni de la douleur liée au processus du divorce, souvent considéré comme un deuil. N’est-il pas un peu réducteur de prétendre que le divorce mène au bonheur et à la légèreté? Les statistiques sont formelles: le risque de dépression est plus élevé pour les femmes divorcées, elles sont deux fois plus nombreuses à tomber dans la pauvreté et s’engagent moins socialement. Au-delà des chiffres, le sociologue français François de Singly, qui vient de publier Séparée, une grande enquête sur les femmes divorcées, considère que «le bonheur ne constitue pas une suite logique du divorce. Le niveau des séparations est corrélé à l’émancipation des femmes et à des changements sociologiques qui dépassent la simple quête du bonheur. Les femmes sont les initiatrices du divorce dans 75% des cas, parce qu’elles attendent bien plus d’une union que les hommes pour des raisons historiques. Elles y cherchent la validation totale de leur identité. De leur côté, les hommes compartimentent les différentes sphères de leurs vies et se contentent plus facilement du statu quo conjugal, quitte à prendre une amante.» Lorsque les femmes sentent que leur conjoint ne leur apporte plus satisfaction, elles préfèrent partir et poursuivre leur développement personnel ailleurs. «Mais cette liberté leur coûte souvent cher et si l’émancipation est vue dans nos sociétés comme une bonne chose, elle n’est pas corrélée au bonheur», conclut le sociologue.

Ni noir, ni blanc. Maria Sveland se défend de remplacer le cliché du mariage heureux et du divorce malheureux par son contraire: «Rien n’est noir ou blanc. Notre objectif est de montrer qu’il n’y a pas une voie unique vers le bonheur. Nous ne nions pas le fait que le divorce représente une épreuve difficile. Mais il faut arrêter de dire que le bonheur ne se trouve que dans le mariage. Nous pensons qu’après quelques étapes, la majorité des femmes sont heureuses de leur choix. La séparation comporte un élément libérateur très fort, car elle implique de réussir à aller à l’encontre des normes et à rester honnête avec soi-même.»

La psychiatre Katharina Auberjonois, thérapeute de couple et de famille, responsable de la Consultation pour familles et couples des HUG à Genève, confirme que «dans certains cas, notamment dans les couples pathologiques, lorsqu’il y a dépendance affective ou de la domination, le divorce peut représenter une étape essentielle dans le développement personnel. Mais pour trouver le bonheur après, il faut que certaines conditions soient réunies.» La psychiatre évoque notamment une acceptation de la séparation qui n’occulte pas sa douleur, une coparentalité efficace, un réseau social riche ou un travail épanouissant.

Ce dernier point est déterminant pour Anne Reiser, avocate genevoise spécialiste du droit familial, qui voit défiler de nombreux couples dans son cabinet: «Les femmes qui ont un travail intéressant et bien payé s’en sortent généralement bien après un divorce. Pour les femmes au foyer, je suis beaucoup moins sûre… Car la profession sert de levier pour se réintégrer socialement et construire de nouveaux réseaux. Ce que j’observe, c’est que la possibilité de retrouver le bonheur après le divorce dépend d’un ensemble de facteurs culturels, économiques et sociaux.» Katharina Auberjonois constate aussi que «plus la garde des enfants est partagée avec le père, plus les femmes divorcées retrouvent facilement une nouvelle vie de couple». Ce type de garde devenant de plus en plus fréquent en Suisse, la cohorte grandissante des femmes divorcées pourrait alors s’épanouir davantage que par le passé. Une seule chose est prouvée scientifiquement: chez les femmes, la séparation a tendance à prolonger la vie, heureuse ou pas, alors que c’est le contraire pour les hommes.

Témoignages

«Il faut avoir le courage de se séparer»

BABETTE KELLER, CEO DE KELLER TRADING, BIENNE

«Il n’y a rien de plus beau que l’amour. Mais à mon sens, lorsqu’il n’y a plus de flamme, et après avoir tout essayé, il faut avoir le courage de se séparer de son conjoint. Sinon, c’est un manque de respect.» Babette Keller a divorcé après plus de vingt-cinq ans de mariage et quatre enfants. Une épreuve difficile qu’elle a considérée comme un deuil. «Aujourd’hui, je ne regrette rien. Je considère que mon divorce est réussi. Cela nécessite beaucoup de dialogue et d’investissement, notamment auprès des enfants.» En couple avec un nouveau partenaire, la fondatrice de Keller Trading estime «avoir renoué avec le bonheur et une nouvelle forme d’amour après son divorce». Elle conclut: «Nous n’avons qu’une vie et elle nous appartient. Il faut savoir tourner la page parfois, même si c’est dur.»

«Mon divorce a été une renaissance»

FRANÇOISE PIRON, DIRECTRICE DE PACTE, LAUSANNE

«Dès les premiers instants de ma séparation, j’ai su que c’était la bonne décision. J’ai eu un sentiment de délivrance, voire de renaissance.» Cette mère de trois enfants a non seulement pu réorganiser sa vie et sa famille selon ses valeurs, mais elle s’est mise à son compte en créant son association. «Cela a été très épanouissant pour moi, mais en même temps très dur. Car une mère seule qui travaille avec trois enfants doit jongler tout le temps et cela reste un exercice ardu.» Françoise Piron estime que, encore maintenant, le divorce est plus difficile pour les femmes en Suisse, car c’est à elles qu’incombe la responsabilité des enfants. «La garde partagée améliore les choses, car la femme dispose de plus de temps pour elle. Mais elle met du temps à se généraliser.»

«Divorcer pour retrouver le bonheur»

DORIS AGAZZI, COORDINATRICE ROMANDE DE LA FÉDÉRATION SUISSE DES FAMILLES MONOPARENTALES, LAUSANNE

«Après le séisme d’un divorce, on se reconstruit presque toujours, comme après n’importe quel échec. Mais il y a quelques étapes à passer avant de retrouver la sérénité. J’ai moi-même vécu un divorce très conflictuel il y a plus de dix ans. Mes enfants avaient 2 et 4 ans et j’ai mis du temps à voir le bout du tunnel. Je pense que nous nous en sommes sortis parce que nous avons réussi à retrouver notre couple parental et au moins à pacifier cet aspect-là entre nous. J’ai toujours évité d’utiliser nos enfants comme intermédiaires dans notre conflit et cela a probablement constitué une des clés de ce cheminement.» En couple avec un nouveau partenaire, sans cohabitation pour l’instant, Doris Agazzi ne regrette rien: «Quand la somme des problèmes entre deux conjoints est trop grande, mieux vaut passer à autre chose, pour soi-même et les enfants. La finalité d’un divorce, c’est quand même de quitter une situation devenue trop difficile pour trouver le bonheur!»