Neuf mois pour un être neuf

La durée exacte d’une grossesse reste complexe à déterminer. Les dernières recommandations incitent à prolonger le séjour du fœtus dans le ventre de sa mère.

Certains accouchements seraient-ils provoqués trop tôt pour des raisons non valables médicalement? C’est l’avis de l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG), pour qui il y aurait trop d’accouchements déclenchés artificiellement entre 37 et 39 semaines d’aménorrhée (SA, lire la définition plus bas). Il recommande désormais de ne pas provoquer d’accouchements avant 39 SA, à moins de problèmes avérés de la mère ou du fœtus.

Catia Nunno Paillard, sage-femme et chargée de cours à la Haute école de santé Genève – HEdS-GE, est d’accord avec ces nouvelles recommandations: «Plus le fœtus naît tôt, plus les risques de mortalité et de morbidité sont importants, notamment les problèmes de détresse respiratoire. S’il n’existe pas de raison médicale prépondérante, il est inutile de déclencher l’accouchement.» La sage-femme explique qu’en Suisse, le déclenchement d’accouchements précoces par «convenance» est rare (lire la définition plus bas pour plus de détails). «La question est différente aux Etats-Unis où de nombreuses femmes ne bénéficient pas d’une couverture sociale optimale et souhaitent mieux contrôler la date de leur accouchement pour pouvoir retourner rapidement au travail.»

Si les recommandations de l’ACOG mettent la plupart des experts d’accord, elles ne sont pas évidentes à mettre en pratique. La première raison réside dans la difficulté à calculer la durée de grossesse exacte pour chaque femme. «Nous arrivons à déterminer la date de conception à un jour près grâce à une échographie pratiquée en début de grossesse qui mesure la longueur de l’embryon, relève Barbara Kaiser, sage-femme et professeure à la HEdS-GE. La durée de grossesse est fixée ensuite à 40 SA par l’OMS, mais elle diffère selon les pays. En France, par exemple, elle est fixée arbitrairement par la Sécurité sociale à 41 SA, pour des questions d’homogénéisation de la prise en charge.» Si les gynécologues fixent un terme précis de fin de grossesse à leurs patientes, il n’existe en réalité pas de date d’accouchement idéale. Les experts parlent plutôt de période propice à l’accouchement, qui se situe entre 37 et 42 SA. 70% des femmes accouchent durant ce laps de temps. Les semaines 37 à 39 sont considérées comme «terme précoce», 39-41 comme «terme complet» et 42 comme «terme tardif».

C’est cette période propice à l’accouchement que les nouvelles recommandations de l’ACOG souhaitent gérer avec davantage de précaution. «Elles vont éviter de provoquer des accouchements dans la période pré-terme sans raison», observe Barbara Kaiser. Mais il s’agit d’un calcul subtil. Tout d’abord les recherches montrent que certains facteurs comme l’âge de la mère, sa taille, son poids, son origine ethnique, ses antécédents familiaux, son alimentation ou le nombre d’enfants qu’elle a déjà eu influencent la durée de gestation. Il semblerait encore que les grossesses seraient plus courtes pour les fœtus masculins. «Lorsque nous devons prendre la décision de continuer ou d’interrompre une grossesse, il s’agit souvent d’un calcul risques/bénéfices délicat car il implique deux personnes, la mère et l’enfant», ajoute Barbara Kaiser. Si l’équipe médicale observe que le fœtus est en souffrance, l’accouchement doit être rapidement déclenché. Mais s’il s’agit par exemple de veiller à ce que le bébé ne soit pas trop gros pour faciliter son passage, il est possible parfois d’attendre encore un peu. Ou dans le cas d’une césarienne planifiée pour des raisons non urgentes, il faudrait attendre 39 SA.

Les nouvelles recommandations de l’ACOG pèseront dans ces décisions et permettront de prolonger les grossesses de quelques jours dans certains cas. Leurs effets ne seront pas révolutionnaires dans la pratique, mais elles s’inscrivent dans une nouvelle tendance. «Nous avons atteint dans les maternités un niveau de sécurisation des accouchements qu’il sera difficile d’améliorer, observe Barbara Kaiser. Notre objectif est de maintenir cette sécurité, tout en améliorant la santé à long terme de la mère et du fœtus, de même que leur bien-être psychologique. Il s’agit par exemple de moins médicaliser l’accouchement pour les grossesses à bas risque. Les recherches montrent qu’une médicalisation à outrance entraîne des effets délétères sur le vécu de la mère, sans parler des effets secondaires des médicaments administrés.»

Les spécialistes souhaitent aussi diminuer le taux de césariennes, qui s’élève à plus de 30% en Suisse, alors que l’OMS recommande un taux de 10 à 15%. Si elles permettent de sauver des vies, les césariennes comportent des risques à court et à long terme pour la santé de la mère et du nouveau-né. Les dernières recherches montrent par exemple que les bébés nés par césarienne auraient une flore intestinale moins riche que les autres et qu’ils souffriraient plus d’asthme. «Il existe maintenant un courant de pensée fort, qui veut limiter l’intervention médicale durant le travail d’accouchement uniquement aux pathologies et ne plus le systématiser, analyse Barbara Kaiser. L’ouverture prévue en 2016 d’une unité de naissance gérée par des sages-femmes au sein du CHUV s’inscrit dans cette tendance.»

Encadré

Definitions

Les gynécologues calculent la durée d’une grossesse en semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire en semaines sans règles. La durée de gestation commence le premier jour des dernières règles.

Lorsqu’on parle d’accouchement provoqué, il s’agit d’un accouchement par voie basse. Ce dernier peut être provoqué par différents médicaments et notamment par l’injection d’ocytocine, qui stimule les contractions. Si les accouchements ne sont pas provoqués par convenance en Suisse, ce n’est pas le cas des césariennes, qui peuvent être planifiées pour la convenance du personnel médical ou de la mère, c’est-à-dire sans qu’il n’y ait de raison médicale prépondérante.