«Il faut commencer par comprendre la signification du mot “climat”»

Les activités humaines n’influencent qu’une infime partie des différents cycles climatiques. Mais cela suffit à perturber le système. Explications avec le climatologue Stéphane Goyette.

Pour le climatologue Stéphane Goyette, l’augmentation de la température annuelle moyenne terrestre n’aura pas les mêmes effets locaux partout. (Photo Thierry Parel)

Stéphane Goyette étudie les différents cycles, modèles et théories du climat depuis des années. Pour ce professeur à la Haute École d’ingénierie et d’architecture de Fribourg – HEIA-FR et Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences de l’envi­ronnement de l’Université de Genève, les mécanismes du cycle de l’énergie terrestre sont connus avec précision. La prise de conscience des changements climatiques par les scientifiques date d’ailleurs déjà de la fin du XIXe siècle.

Pourquoi le climat est-il perturbé?

Pour commencer, il faut savoir que le climat fonctionne essentiellement sur la base de cycles, mais ces derniers peuvent être per­turbés par des évènements dits chaotiques ou impondérables, comme l’activité volcanique, les feux de forêts, ou différentes perturbations météorologiques. Il n’est d’ailleurs pas in­fluencé par un seul cycle, mais par plusieurs, tels le cycle de l’énergie, le cycle de l’eau ou le cycle du carbone. Certains cycles sont liés à l’astronomie et, s’ils peuvent connaître des variations, celles-ci ne sont pas influencées par l’Homme. Il s’agit par exemple de la tra­jectoire elliptique de la Terre autour du Soleil ou de son axe d’inclinaison de 23,5 degrés, responsable des saisons. C’est là-dessus que repose notamment la théorie des cycles de Milankovic, qui estime qu’une glaciation a lieu sur Terre tous les 100’000 ans environ.

Et quand aura lieu la prochaine glaciation?

L’interglaciaire actuel (période qui sépare deux périodes glaciaires, ndlr) pourrait durer encore 50’000 ans! Mais certains spécialistes estiment que si les activités humaines conti­nuent de perturber le climat, cette glaciation pourrait ne pas avoir lieu. Ce serait une pre­mière dans l’histoire de la Terre.

Justement, où se joue l’influence des activités humaines?

Les activités humaines influencent la composition de l’atmosphère. Celle-ci est le lieu du cycle d’échange d’énergie entre la Terre et le Soleil. Il s’agit d’un système avec flux en­trants et sortants. Lorsqu’un maillon de cette chaîne est perturbé, c’est tout le système qui dysfonctionne. Depuis la fin du XIXe siècle, les industries et la déforestation entraînent une augmentation des quantités de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui génère le désormais célèbre renforcement de l’effet de serre. On peut voir l’atmosphère comme un vêtement qui piégerait de plus en plus de chaleur et qui réchaufferait davantage la Terre.

Connaît-on les chiffres précis de cette perturbation?

Les mécanismes du cycle de l’énergie terrestre sont connus avec une certaine précision. On sait que l’effet de serre natu­rellement présent dans l’atmosphère – et sans lequel la température terrestre moyenne serait de -18 ºC degrés contre +15 ºC actuellement – représente environ 155 watts par m2. Les activités humaines l’augmentent de 4 watts par m2. Cela paraît infime, mais c’est assez pour perturber un système, somme toute fragile.

Nous allons donc vers un réchauffement inéluctable…

Oui, d’autant plus que les émissions de carbone ne semblent pas diminuer drasti­quement dans un avenir proche. Et passé un certain stade, le réchauffement climatique sera renforcé par des boucles de rétroaction. La fonte des glaces du pôle Nord par exemple fera que davantage d’énergie solaire sera absorbée par la Terre, ce qui amplifiera le ré­chauffement initial. Il est important de savoir que l’augmentation de la température annuelle moyenne terrestre n’aura pas les mêmes effets locaux partout. Il est plus adéquat de parler de «changement» climatique que de réchauf­fement. En effet, les flux d’air atmosphériques circulent en faisant des méandres complexes et sont influencés par de multiples facteurs. Certaines régions connaîtront davantage de précipitations, alors que d’autres deviendront désertiques. Il est même possible que certaines régions refroidissent.

« On observe déjà certains glaciers croître au nord de la Norvège »

Des glaciers continueraient de croître alors que d’autres fondraient?

Tout à fait. On observe déjà certains glaciers croître au nord de la Norvège, dans des zones qui ont connu davantage de préci­pitations ces dernières années. La combinaison entre ces précipitations et un réchauffement des températures pas encore suffisant entraîne une croissance des langues glaciaires.

Certaines régions pourraient bénéficier du réchauffement climatique?

Il est probable que certaines régions dans l’hémisphère Nord deviennent plus propices à l’agriculture. Mais tous les modèles indiquent que pour l’ensemble de la planète, les impacts du changement climatique seront néfastes. La désertification va progresser. Les évènements météorologiques extrêmes vont augmenter en nombre et en intensité. On assistera aussi à une désaisonnalisation du climat

Dans le fond, l’augmentation de la température terrestre ne dit pas grand-chose sur le climat ressenti localement…

Le climat «ressenti» est quelque chose de très subjectif, voire émotionnel. Nous venons par exemple de vivre en Suisse un hiver vi­goureux, avec des précipitations abondantes. Certaines personnes disent alors que le réchauffement climatique n’a pas lieu. Elles ignorent que des régions situées à quelques centaines de kilomètres de nos frontières vivent une sécheresse dramatique, comme le sud de la France. Pour nous climatologues, le climat évolue en dents de scie. Les variations aux normes sont normales et ne contredisent pas les évolutions à long terme. Par ailleurs, il faudrait commencer par comprendre la signification du mot “climat” qui, quand on y réfléchit, est assez abstrait. Personnellement, j’aime bien la définition du géographe français Maximilien Sorre: «Le climat est la série des états de l’atmosphère au-dessus d’un lieu dans leur succession habituelle.» Le climat n’équivaut pas uniquement à une moyenne des températures et des précipitations. Il est aussi influencé par le vent, la pression atmos­phérique ou le rayonnement solaire. Deux lieux différents peuvent être caractérisés par une température annuelle et des quantités de précipitations identiques et ne pas connaître le même climat.

En tant que climatologue, votre sujet de recherche est devenu hautement politique. Comment le vivez-vous?

Vous savez, je consacre depuis des an­nées ma vie à l’étude des différents modèles et théories du climat. Ce qui me passionne, c’est de faire avancer les connaissances. Un peu comme une machine dont j’aurais ex­ploré les pièces de fond en comble. Certains modèles existent depuis longtemps et ont été largement prouvés. Ils sont évidemment toujours perfectibles. Parfois, il m’arrive de douter sur certains détails. Je suis le premier à remettre les résultats scientifiques en cause et à souhaiter en discuter. Mais sincèrement, les débats avec des personnes climatosceptiques me sont très pénibles. Ils détruisent souvent en quelques minutes ce que nous avons mis des années à construire et cela sans données scientifiques. Notre objectif n’est pas le même.

« Les débats avec des personnes climatosceptiques me sont très pénibles »

Vous dites que certains modèles climatiques existent depuis longtemps…

Il est bien de se rendre compte que la prise de conscience des changements clima­tiques par les scientifiques ne date pas d’il y a 15 ans…Le premier à avoir montré les effets des émissions de dioxyde de carbone sur le climat est le chimiste suédois Svante August Arrhenius à la fin du XIXe siècle. Son modèle basé sur le bilan d’énergie planétaire prédisait une augmentation de deux degrés des tempé­ratures dès 1950. Il tenait tout à fait la route! Ensuite, on peut dire que les développements théoriques de la climatologie ont été limités durant la première moitié du XXe siècle en raison du manque de puissance de calcul des ordinateurs. Des progrès importants ont été réalisés durant les années 1970 avec l’arrivée de modèles météorologiques en 3D. Mais le maillage du territoire restait très grossier. Il manquait souvent des éléments essentiels comme les lacs ou les glaciers continentaux. C’est avec le développement des superordina­teurs, puis de la vitesse de calcul et des espaces de stockage de données dans les années 1990 qu’on a pu affiner les modèles et résoudre des équations complexes. C’est de là que date aussi le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en 1990.

Les modèles climatiques actuels sont-ils encore perfectibles?

Ils ont atteint un niveau de précision important, notamment grâce aux données des satellites. Mais il reste un certain nombre de problèmes à résoudre. Nous ne savons par exemple toujours pas bien comment modéliser les nuages. Leur rôle dans le cycle de l’énergie et de l’eau, donc sur la température terrestre, est crucial, car ils réfléchissent la lumière solaire, produisent un effet de serre et trans­portent de l’eau. Mais comment représenter cet ensemble de gouttelettes mouvantes, souvent violemment agitées? Nous n’avons toujours par une solution satisfaisante.