«J’aime l’Asie, il y a moins de bureaucratie qu’en Suisse»

Attirés par des économies en forte croissance, très dynamiques, ainsi qu’un mode de vie agréable et exotique, toujours plus de jeunes cadres suisses s’installent dans les pays asiatiques. Un phénomène qui devrait encore s’amplifier dans le futur.

«C’est en Asie que tout se passe. Ces pays vont dominer l’économie mondiale ces prochaines décennies et offriront davantage d’opportunités d’emplois que l’Europe ou les Etats-Unis.» Il n’est pas le seul à penser ainsi, Alexandre Dormeier Freire, chercheur à l’International Master in Development Studies (IMAS) de Genève: de fait, les Suisses sont de plus en plus nombreux à migrer vers l’Extrême-Orient.

Selon les dernières statistiques du Département fédéral des affaires étrangères, le continent asiatique a enregistré la plus forte croissance de ressortissants suisses en 2009. Avec une immigration helvétique qui a augmenté de 6,1%, l’Asie devance les Etats-Unis et l’Union européenne. La croissance est particulièrement marquée à Singapour, où les Suisses sont 10,4% plus nombreux qu’en 2008.

Si une partie des Suisses vivant en Asie sont doubles nationaux ou retraités, la croissance de ces dernières années est surtout due à des émigrés d’un nouveau genre: des jeunes cadres attirés par les opportunités de carrière, fascinés par ces pays à l’énergie débordante, où la croissance n’existe qu’à deux chiffres et où l’administration permet, comme à Singapour, de créer une joint-venture en moins de trente minutes. «Cela me plaît de travailler dans un univers aussi stimulant, résume Chris Neff, un Zurichois qui travaille chez le joaillier Swarovski à Singapour depuis quatre ans (lire encadré). A côté de ce rythme trépidant, en Suisse, tout paraît tellement lent!»

L’accueil chaleureux réservé aux jeunes Européens motivés achève de dissiper d’éventuelles hésitations. Car l’Asie connaît un manque de main-d’œuvre significatif pour les postes qualifiés. «Il existe une inadéquation entre les besoins en ressources humaines de ces économies émergentes et le niveau de formation de leurs populations, détaille le chercheur Alexandre Dormeier Freire. Alors que le marché de l’emploi se tend en Europe, il devient d’autant plus intéressant de se tourner vers l’Asie. A des conditions de salaires similaires à celles du Vieux Continent, un jeune possédera en plus un meilleur pouvoir d’achat.»

L’image de l’Asie s’est considérablement améliorée sur tous les plans ces dernières années: «En plus de leurs paysages de paradis touristiques, ces régions sont considérées par les Suisses comme politiquement stables et donc propices au développement de l’économie. La facilité du quotidien dans la plupart des pays de la région et une absence d’insécurité accentuent encore la réputation d’excellence de leur qualité de vie.»

Différences. Malgré ces points positifs, l’adaptation à un univers culturel totalement différent pose certains problèmes aux jeunes cadres qui ont tenté l’aventure asiatique. «Ici, la compétitivité est très forte et il faut être prêt à travailler de longues heures pour survivre dans un environnement en perpétuel mouvement», confie Anne-Marie Haller, gestionnaire chez Credit Suisse à Singapour. Les différences culturelles en matière de relations de travail peuvent également surprendre: «On n’obtient pas des résultats de la même façon qu’en Europe. Il faut être très patient et surtout ne jamais froisser les gens.»

C’est que les pratiques, notamment en matière d’égalité des sexes, n’ont pas évolué ici aussi vite qu’en Occident. D’une manière générale, constatent les Suisses interrogés sur place, «la hiérarchie joue ici un rôle plus important, les tempes grises sont toujours synonymes d’autorité, et il règne un climat général assez paternaliste». Autant d’aspects qui déroutent parfois les nouveaux arrivants.

Attraction. «En Asie, il faut prendre le temps de comprendre l’autre si l’on veut avoir du succès, explique Alexandre Dormeier Freire. Les gens travaillent aussi beaucoup plus en réseau, il faut donc faire attention à ne pas être catalogué comme appartenant à tel ou tel clan. Il s’agit aussi d’être conscient des grandes différences culturelles d’un pays à l’autre, entre les influences confucéennes, bouddhiques ou musulmanes.»

Les difficultés de compréhension culturelles ne freinent cependant pas la tendance. «L’émigration vers l’Asie est un phénomène qui va s’amplifier à l’avenir, estime le chercheur. Il touche la Suisse comme les autres pays occidentaux.» Une attraction d’autant plus forte que les économies asiatiques ont été relativement épargnées par la crise. Les spécialistes prédisent des taux de croissance entre 8 à 10% dans la région pour les deux prochaines années.

Témoignages

Markus Studhalter, Barry Callebaut, Kuala Lumpur

«Ici, le travail ne s’arrête jamais»

Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, est la deuxième étape asiatique de Markus Studhalter. Il y est installé depuis six mois en tant que CFO Asia Pacific chez le leader mondial des produits à base de cacao Barry Callebaut, dont le siège se trouve à Zurich. Auparavant, ce Lucernois de 37 ans travaillait à Shanghai pour le même groupe. «Ce sont deux univers totalement différents. Shanghai est une mégapole tentaculaire, avec d’immenses contrastes: les boutiques les plus luxueuses y côtoient les échoppes les plus modestes. J’ai été surpris de voir que peu de Chinois parlent anglais: cela complique quelque peu la vie quotidienne.» A Kuala Lumpur, Markus Studhalter se sent plus à l’aise: «La taille de la ville est plus humaine, son rythme et ses contrastes plus doux. L’atmosphère est multiculturelle et beaucoup de Malais parlent plusieurs langues.»

Si le jeune Suisse apprécie la qualité de vie de son statut d’expatrié, il regrette la proximité de la nature et les saisons de son pays natal. Ce qui lui fait défaut, c’est aussi un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée qu’il résume en une formule: «Ici, le travail ne s’arrête jamais.» Les équipes dont Markus est responsable sont réparties dans toute l’Asie, du Japon à Singapour en passant par la Chine. La compréhension de cultures si différentes les unes des autres représente également un gros défi.

Markus apprécie la motivation de ses collègues. Et ce qu’il aime par-dessus tout, c’est l’environnement dynamique dans lequel il travaille: «Evoluer dans des marchés qui croissent à une telle vitesse, c’est excitant. Je suis optimiste concernant les économies asiatiques et celle de la Malaisie. Je pense que ce pays va se développer de façon fulgurante ces prochaines années.»

Anne-Marie Haller, gestionnaire chez Credit Suisse, Singapour

«Les Asiatiques sont orientés vers le futur»

Anne-Marie Haller, 32 ans, a grandi à Nyon (VD). «On m’a proposé ce poste alors que j’habitais à Zurich. J’ai tout de suite accepté de partir: cela me permettait d’enrichir mon parcours professionnel tout en découvrant un nouveau continent. Franchement, c’était un saut dans l’inconnu et je ne savais pas vraiment ce qui m’attendait.»

Arrivée à Singapour au printemps 2006, la gestionnaire s’adapte rapidement à sa nouvelle vie. «Le quotidien est plutôt agréable, les transports, l’administration, la sécurité, tout fonctionne bien.» C’est dans les aspects mineurs de la vie quotidienne que certaines difficultés se présentent: «L’anglais est certes l’une des langues officielles de Singapour, mais le «Singlish» reste difficile à comprendre. Il est également compliqué de se rappeler les noms, vu la diversité des origines pouvant aller du chinois à l’indien. Et le plus ardu reste d’intégrer les codes de communication asiatiques. Il faut savoir contrôler ses émotions et ses paroles, afin que son interlocuteur ne perde pas la face. C’est primordial pour entretenir des relations de travail harmonieuses et obtenir des résultats.»

Si Anne-Marie Haller se souvient parfois avec nostalgie des montagnes helvétiques, elle s’imagine continuer à vivre à Singapour dans les prochaines années: «En plus de la qualité de vie et du cadre exceptionnel, j’apprécie ici à quel point les choses bougent très vite. Lorsqu’on possède un bon projet, il peut se réaliser rapidement. Cela crée des opportunités pour ceux qui sont prêts à les saisir.»

«J’aime aussi la manière dont les Asiatiques réagissent face aux moments difficiles comme la crise économique, ajoute enfin la manager. Ils considèrent cela comme faisant partie de la vie et continuent à travailler dur en attendant des temps meilleurs. Ils sont fondamentalement orientés davantage vers le futur que vers le passé.»

Chris Neff, Regional Distribution Manager chez Swarovski, Singapour

«Des différences de mentalité parfois extrêmes»

Une température annuelle moyenne de 33 degrés, une vie nocturne trépidante et, surtout, un environnement économique extrêmement dynamique: il n’en fallait pas davantage à Chris Neff, Zurichois d’origine, pour qu’il se sente chez lui à Singapour. Employé chez le joaillier Swarovski en tant que Regional Distribution Manager depuis quatre ans, Chris souhaitait partir en Asie après avoir achevé son MBA. «Je me sentais prêt pour une expérience en dehors de l’Europe. L’Asie m’attirait particulièrement, en raison de sa croissance économique exceptionnelle. C’est vraiment l’endroit où il faut être actuellement.»

Depuis Singapour, Chris Neff gère la clientèle asiatique de Swarovski, du Japon à l’Indonésie. «Je collabore avec un mélange d’Occidentaux et d’Asiatiques. Les différences de mentalité sont parfois extrêmes. En règle générale, on ne peut pas dire à un employé asiatique qu’il a commis une erreur: il faut le lui faire comprendre par un moyen différent. L’autre chose, c’est que, pour un Européen, un «Oui» signifie un oui et un «Non», un non. Ce n’est pas le cas pour les Asiatiques, qui ne disent jamais non, mais déclinent leur «Oui» avec des nuances très subtiles…»

Chris ne se voit pour l’instant pas travailler ailleurs qu’en Asie: «Ici, les gens s’engagent sans limite pour leur travail. L’administration ne met pas de bâtons dans les roues des entrepreneurs et le système politique est stable. Bref, l’économie asiatique continuera de dominer le monde ces prochaines décennies.»

Martin Hohn, Assistant Manager au KC Hotels & Resorts, Koh Samui, Thaïlande

«On peut vite décrocher un poste à responsabilités»

Martin Hohn est arrivé en Thaïlande en 2006, quelques semaines après le coup d’Etat militaire. «Evidemment, je me suis posé la question de savoir si c’était une bonne idée de partir…» Seulement, le goût de l’aventure a vite repris le dessus pour ce Bernois de 33 ans, diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Après avoir cumulé des expériences professionnelles à Genève, en Espagne et en Afrique du Sud, Martin ressentait le désir de «découvrir une culture totalement inconnue». Il postule à travers tout le continent asiatique, puis c’est finalement l’offre d’une chaîne hôtelière de luxe en Thaïlande, sur l’île paradisiaque de Koh Samui, qui retient son attention.

«Je doute que le choix de travailler en Thaïlande m’aide dans la poursuite d’une carrière typique dans l’hôtellerie de luxe helvétique. Je considère cette expérience comme unique et elle m’apporte énormément. Grâce à ma formation européenne, j’ai pu arriver plus vite à un poste à responsabilités.»

Les premiers mois d’adaptation à la vie thaïlandaise sont toutefois difficiles pour Martin, surtout en ce qui concerne le rythme de travail. «Heureusement que j’avais déjà travaillé dans d’autres pays que la Suisse, sinon le choc aurait été violent.» Petit à petit, Martin se met à apprécier la culture locale: «J’aime les gens et la liberté dont on bénéficie ici, en raison de l’absence de réglementation et de bureaucratie, que je considère comme excessive en Suisse. Et la qualité de vie est excellente, tant au niveau du climat que de la gastronomie. Et puis, il y a tellement d’expatriés et de voyageurs ici que l’on trouve facilement les produits européens qui nous manquent, si l’on est pris de nostalgie.»